Le plus fameux des catalogues des Incohérents.
Faire une exposition de dessins exécutés par des gens qui ne savent pas dessiner : tel fut le principe de départ imaginé par l’hydropathe Jules Lévy pour organiser, avec la participation enthousiaste d’une cohorte de farceurs issue des cercles et des cabarets du Paris fin de siècle, une exposition désopilante, excentrique, parodique, caricaturale et, bien évidemment, parfaitement fumiste. Le projet se réalise à la faveur de l’explosion (un signe) de gaz qui ravage des immeubles de la rue François Miron, le 13 juillet 1882, les premiers incohérents vont illustrer la kermesse de charité organisée au profit des sinistrés dans un hangar des Champs-Élysées. Ce premier balbutiement s’entend si près du Salon officiel, qu’il ravit les populations ébaubies par la dérision de l’art. Rebelote en octobre, chez Jules Lévy cette fois. Hénaurme succès. Deux mille curieux s’étouffent dans les escaliers étroits qui mènent à sa chambre. Mort aux poncifs, à nous les jeunes ! clame la feuille imprimée, le 1er octobre 1882, par Le Chat noir en guise de premier catalogue incohérent.
La manifestation se professionnalise, des dessinateurs, des peintres (Paul Signac ou Toulouse-Lautrec, par exemple, ont donné quelques dessins, signés de pseudonymes farfelus, qui n’ont encore jamais été identifiés), des écrivains (songez à l’Album Primo-Avrilesque d’Alphonse Allais), des poètes rivalisent de créativité, d’humour, de provocation et de subversion tous azimuts. L’incohérence est d’ores et déjà le royaume du calembour graphique et des supports inattendus, la presse s’en mêle, allant jusqu’à donner l’investiture à l’Incohérence puisqu’on a bien admis les impressionnistes qui sont des révolutionnaires et des impuissants… L’illustre Gérôme de l’Institut crie à l’anarchisme. On s’étouffe derechef l’année suivante, galerie Vivienne. L’Incohérence s’institutionnalise et organise des bals faramineux et spectaculaires où se pressent plusieurs milliers de Parisiens. A partir de l’exposition de 1886, Jules Lévy, taxé de spéculation, perd le soutien d’une partie de la presse qui l’assaille de critiques. Face à ses détracteurs, il proclame, le 16 avril 1887, la fin officielle et définitive de l’ère incohérente. Mais au bal des funérailles succède le bal de la résurrection qui a lieu le 27 mars 1889. La dernière exposition a lieu en 1893.
Deux traces anciennes de papier scotch sur le faux-titre (recto verso) et le dernier feuillet de l'ouvrage sinon bon exemplaire.