Édition originale de ce chef-d’œuvre halluciné – aérolithe littéraire aujourd’hui légendaire, qui eut fait pâlir d’envie Dada et toute la galaxie surréaliste s’ils en avaient eu connaissance, Le Tutu est l’un des tous derniers livres édités par Léon Genonceaux.
Achevé en septembre 1891, imprimé dans la foulée au mois de novembre, Le Tutu apparut – où disparut – en pleine tourmente.
Novembre fut un mois particulièrement noir pour Genonceaux qui eut à faire face à une série d’affaires préjudiciables à son activité d’éditeur : l’affaire du Reliquaire de Rimbaud, le mandat d’arrêt lancé contre lui après la saisie d’Hémine de Jean Larocque, les poursuites judiciaires pour l’illustration de la couverture de Zé’Boïm de Maurice de Souillac et le procès à huis-clos de ce dernier (en fait une femme, Lefèbvre de son vrai nom) – une première en matière de censure (cf. n°138, 125 & 143 de L’Arrivée des Marsiens). On peut comprendre qu’avec ses déboires notre éditeur ait été quelque peu débordé pour s’occuper de lancer sur le marché littéraire sa dernière production – et puis, à la fin de ce mois fatal, il s’enfuyait précipitamment en Angleterre pour échapper à son incarcération, emportant avec lui, très probablement, le manuscrit des Chants de Maldoror qu’il venait aussi de rééditer...
Si Genonceaux avait pu diffuser Le Tutu, nul doute que le livre eût subi aussi sec les foudres de la justice tant celle-ci l’avait à l’œil. Il est probable encore que, lors de la descente de police chez l’éditeur, celle-ci ait eu tout loisir de faire main basse sur tout ou partie de l’édition, intriguée voire choquée par sa couverture provocante et scandaleuse. Tout cela explique peut-être aujourd’hui la grande rareté de ce livre.
Aucun compte-rendu ni le moindre entrefilet ne signala donc l’existence du Tutu jusqu’en 1966, année où il fut découvert et révélé par Pascal Pia. Le hasard seul m’a fait découvrir ce roman… Tous les personnages du livre sont des excentriques, des extravagants, voire des monstres – au sens propre du mot. Le premier d’entre eux, Mauri de Noirof, épouse une riche héritière obèse et portée sur la boisson, engrosse une femme à deux têtes qui s’exhibait dans les cirques, subit le traitement grâce auquel un médecin procure aux femmes stériles comme aux hommes la possibilité d’allaiter, devient député, ministre de la Justice, et se livre en compagnie de sa mère à des orgies de débris anatomiques dans la garçonnière où Gabrielle Bompard et son amant avaient estourbi l’huissier Gouffé. Mauri et Madame de Noirof mère se délectent des Chants de Maldoror. Mauri les lit à haute voix, ce qui permet à l’auteur du Tutu d’en reproduire textuellement plusieurs pages (trois pages et demie du Chant troisième et six pages du Chant quatrième).
Selon Pascal Pia, le pseudonyme de la Princesse Sapho dissimulerait Genonceaux lui-même – ce qui, malgré les nombreuses spéculations dont l’auteur de ce livre fait l’objet, reste toujours l’hypothèse la plus vraisemblable. Ce qui ne fait pas de doute, c’est que le roman est d’une étourdissante modernité – au point que quelques universitaires nord-américains n’ont pas hésité à l’attribuer à Pascal Pia ! (ils n’avaient pas les bonnes adresses)
Bel exemplaire bien complet des 4 pages blanches foliotées 10, 82, 150 et 304, de la planche de musique céleste et de la composition symbolique de Binet et surtout – surtout – de son extraordinaire couvertuture… sans elle, Le Tutu perd toute son âme.