Édition originale.
Envoi a. s. : à mon bon ami Eugène Devéria. Victor
Eugène Devéria fut un des plus beaux espoirs du romantisme naissant, écrit Théophile Gautier en 1865. L’ombre et l’oubli se sont déjà faits depuis de longues années sur ce nom qui se leva dans une aurore de splendeurs, d’admirations et d’enthousiasmes. – Nul début ne fut plus brillant et ne fit de telles promesses.
L’année des Orientales, Eugène Devéria était considéré, avec Eugène Delacroix, comme un des jeunes maîtres de la nouvelle peinture – Devéria avait même pris le pas sur son ainé avec sa Naissance de Henri IV. Le tableau lui avait alors assuré la gloire du Salon de 1827, symbolisant une des grandes victoires de l’École romantique. Le jeune et talentueux peintre de 22 ans ne dépassa point son premier effort. Son coup d’essai fut son chef-d’œuvre, sa victoire fut passagère et le champ de bataille resta à Delacroix – lui qui avait accroché, dans ce même Salon de 1827, La Mort de Sardanapale…
Après une dizaine d’années de commandes officielles qui l’amenèrent progressivement à se consacrer à des compositions religieuses (décorations de Notre-Dame-de-Lorette à Paris ou Notre-Dame-des-Doms d’Avignon), Devéria se convertit de tout, devint un farouche calviniste et s’en alla, à l’ombre des Pyrénées, étreindre l’oubli.
Victor Hugo aimait Eugène Devéria, aussi bien que son frère Achille, ou leurs petites sœurs Désirée, Octavie, Laure, bref, Victor Hugo aimait toute la maison Devéria – elle était un des foyers du romantisme, mieux, le romantisme était chez lui chez les Devéria comme le rappelle Gautier.
En 1826, Hugo s’était installé avec les siens rue Notre-Dame-des-Champs, non loin des Devéria. Sainte-Beuve avait fait de même. Rue de Fleurus il y avait l’atelier de David D’Angers (où Balzac viendra poser en 1842 (sur le site aussi)), Louis Boulanger partageait celui d’Eugène. On avait à peine un quart de siècle et déjà des petits, des omelettes providentielles que l’on arrosait de rhum d’une maison à l’autre et des poulets à la crapaudine qu’on allait partager à la barrière Montparnasse chez la mère Saguet. On y voyait Mérimée cuire des macaronis, Musset ses premiers vers ou Lamartine changer l’eau de bohème en vin de Mâcon. La nuit venue, avant que Borel ne hurle à la lune, on entendait encore Deschamps et Planche (Gustave, plus loin) s’entretenir de rimes pour endormir les enfants.
On comprend qu’Hugo, dans ce climat d’intimité, n’ait eu besoin d’ajouter son patronyme à la dédicace de cet exemplaire des Orientales – ce livre inutile de pure poésie.
A l’origine le volume était dans une grossière basane calviniste, explosée ; plutôt qu’une reliure pastiche on a osé le brocart ancien qui s’accorde parfaitement avec les tranches rouges d’origine. On a peut-être un peu déraillé, tant pis, on aime assez.
Une trace angulaire de mouillure claire sur les premiers feuillets, des rousseurs sur les trois premières pages et le frontispice.