Édition originale tirée à 350 exemplaires numérotés et justifiés (un seul papier).
La Société Pantechnique et Palingénésique des Agathopèdes fut fondé en 1846, à l’abri des mouchards, du bruit, de la musique et autres incommodités dans un cabaret du Bas-Bruxelles, en 1846, par quelques « bons enfants », fumistes érudits, mystificateurs redoutables, mais amis comme cochons, ce roi des animaux, modèle de l’homme et être évangélique vénéré et consommé pour la consolation des cœurs affligés.
La corporation fraternelle comprenait une société mère, dite Ménagerie, et des sociétés affiliées, dites Cages. L’organisation était chapeauté par l’historien archéologue et académicien Antoine Schayes, dit Pourceau, le Grand Maître, gardien des vieux objets de l’État, chargé d’alimenter la vénération et le zèle des présidents de Cages, dits Cochons, et de leur membres, eux-mêmes affublés de patronymes animaliers : Renier Chalon, alias Goupil le Renard, receveur des contributions, numismate et immortel auteur du célèbre Catalogue de la bibliothèque du Comte Fortsas ; Henri Delmotte, Tybert le Chat, éditeur et commissaire d’arrondissement à Nivelles, fondateur, en 1832, de la société pétotico-macaronico- huîtrique ; Émile Gachet, Mouflart le Vautour, chef de famille et de bureau aux Archives du Royaume ; le général Joseph Renard, Frapel, ministre de la guerre et aide de camp du Roi ; Alfred Michiels, Coq et homme de lettres ; Camille Wins, avocat et Cochon de la Cage de Mons ; Guillaume Gensse, le fameux Docteur Cloetboom, capitaine de la garde urbaine et généralissime mystificateur de génie (industriel) ; Louis Huart, Grumbert le Blaireau, qui illustra le présent volume, Édouard de Linge, Félix Bovie, Auguste Baron, Th. Jouret, etc.
La Société des Agathopèdes était pourvue de statuts ultra secrets, de costumes agathopédiques, de distinctions subtiles et complexes, et d’un Bureau des Platitudes et des Éphémorroïdes chargé de calculer et supputer la sottise d’été et la sottise d’hiver ou dresser le calendrier des douze Menstrues agathopédiques (Raisinaire, Huîtrimaire, Crêpose, Jambose, Petitpoisidor, etc.), calendrier qui abrogeait définitivement la période Julienne, dite du potage, et l’ère de Nabonassar, plus bonne à rien.
La Ménagerie examinait toutes candidatures et chaque récipiendaire devait argumenter et disserter sur des sujets variés et ardus : Quel est l’auteur le plus relâché de la littérature française ? Le besoin de cette solution se fait sentir en tous lieux. – L’adultère consommé sur un mur mitoyen peut-il être considéré comme perpétré dans le domicile conjugal ? – Quelle est, selon vous, l’origine et la destination des comètes ? Partagez-vous l’opinion du savant théologien De Ram qui regarde ces astres comme une conséquence immédiate du péché d’Adam ? – Les romains portaient-ils des parapluies à leur arrivée en Belgique ? Prouvez votre opinion par des documents archéologiques et numismatiques, etc.
Alexandre Dumas, Pyrope l’Escarboucle, fut intronisé dans la Ménagerie le 15 janvier 1852 après avoir brillamment résolu le problème suivant : Étant donné un attelage tiré par deux chevaux de couleur différente, pourquoi celui dont la robe diffère est-il toujours à droite ?
Outre ses recherches savantes, ses agapes nocturnes et chantantes, l’activité des Agathopèdes se manifesta par la publication de travaux iconoclastes et de mystifications bibliographiques remarquables ou par la réalisation de canulars notoires par voie de presse ou urbaine. Ainsi « le Canard » – Tout pour un canard, seconde devise des Agathopèdes – une des grandes spécialités de la société : une petite note, adressée aux journaux, relatant avec toutes les apparences de l’honnêteté et de l’authenticité un événement curieux, une trouvaille extraordinaire, une dernière découverte de la science, ou encore une nouvelle théorie sociale ou politique, le tout, évidemment, complètement imaginaire. Gaston de le Court, dans son histoire des Agathopèdes (Annales de la Société Royale d’Archéologie de Bruxelles, tome 49, 1957) en a répertorié un nombre pharamineux, citant les journaux, belges et français, qui reproduisirent ces communications aussi sensationnelles qu’improbables sans la moindre réserve. Ainsi, 30 ans avant Cros et Edison, les Agathopèdes purent-ils annoncer au monde l’invention de M. Fétis, directeur du Conservatoire de Bruxelles, le Fétisographe, un appareil qui conserve la musique et le chant, et les restitue à volonté de la manière la plus exacte, information aussitôt relayée par la presse avec force détails techniques…
Maîtrisant parfaitement les rouages et les subtilités du marketing, la ténébreuse association finit par infiltrer les hautes sphères politiques : lors des élections du comité des fêtes de septembre, le Ministère de l’Intérieur sortait des urnes plus d’une centaine de bulletins portant le nom du Grand-Maître de l’ordre. L’affaire fit grand bruit dans tout le pays, certains gazetiers envisagèrent même le complot insurrectionnel… C’est à cette occasion que les agathopèdes découvrirent qu’il y avait des traîtres parmi eux. Des choses irrévélables étaient révélées, l’occultation définitive survint dans la foulée, en 1853.
Jugeant qu’il n’était pas bon que les lumières surabondassent, la Ménagerie détruisit ou éparpilla ses riches archives. Restent quelques publications, difficiles à trouver aujourd’hui du fait de leur tirage restreint, comme cet Annulaire, pièce maîtresse, illustrée de nombreuses figures sur bois de Louis Huart, qui comporte une préface sur l’agathopédisme, le calendrier, des chansons, des problèmes trigonométriques ou adultériques, un éloge du cochon, des cours d’agathopédie biblique, une histoire pathologicothérapeutique de la maladie de la pomme de terre, une étude de locomotion anémique et autres thèses, synthèses, prosthèses, hypothèses, antithèses et parenthèses, bref, à boire et à manger.
Usures parcimonieuses mais bel exemplaire - rare.