Édition originale.
Envoi a. s. : à Fernand Khnopff, hommage, Charles Morice.
Noa Noa relate le premier séjour à Tahiti (1891-1893).
L’idée initiale de Gauguin pour faire comprendre sa peinture d’Océanie, après l’échec de son retour en 1891, était de publier ses notes et souvenirs de son premier séjour tahitien. J’avais imaginé et ordonné cette collaboration – sans travail en commun – rappellera le peintre un an avant sa mort. J’avais trouvé original d’écrire tout simplement en sauvage, à côté le style d’un civilisé…
Ainsi, avait-il donné à Morice sa composition faite de ses notes de voyage – le récit du peintre – dans laquelle l’écrivain devait intercaler ses poèmes. Las, cette idée fut aussitôt trahie par Morice, incapable de s’en tenir à sa part et de rester seulement à côté.
Compagnon symboliste, trop littéraire, Morice ne se contenta plus des simples retouches discrètes qu’il effectua aux débuts. Au fil des ans, il retravailla sans cesse Noa Noa et sa contribution devint si débordante qu’elle fit presque disparaître l’apport du peintre. L’œuvre demeurait toujours en chantier. Gauguin attendait, demandait, espérait… Certes, en 1894, Morice lui avait bien remis un manuscrit – son manuscrit – qui n’était plus celui du début, tout autant intermédiaire qu’il fût. Comme Gauguin n’avait plus le sien, qu’il songeait déjà à repartir en Océanie, il en fit une copie qu’il emporta dans ses malles, sans que Morice ni personne ne le sût jamais… (Gauguin en eut tout le loisir puisqu’à ce moment, la jambe cassée, il était cloué dans son lit à la pension Gloanec, sans pouvoir peindre). C’est ce manuscrit que Segalen rapportera des années plus tard des Marquises pour le remettre à Monfreid.
Dans les îles, Gauguin l’avait enrichi à sa manière, utilisant les espaces vacants qui ne voyaient toujours pas arriver les poèmes du compagnon d’antan. Ce fut le très beau fac-similé de 1926, considéré alors comme le vrai Noa Noa et que l’on découvrira finalement n’être, pour le texte, qu’un état intermédiaire du Noa Noa mâtiné de Morice… Le manuscrit originel du peintre fut retrouvé dans le grenier de Sagot, en 1951. Dans un revers de fortune, le rewriter l’avait vendu au galeriste en 1908.
Charles Morice chercha longtemps un éditeur pour le présent Noa Noa – le Mercure de France, Perrin, Charpentier, Fasquelle & Cie, le déclinèrent tous, jugeant l’œuvre trop à part. Bien qu’il fût aussi peu fortuné, il finit par se résoudre à payer lui-même les frais d’impression. Les éditions de La Plume se contentèrent simplement d’en être le dépositaire. Aucun papier de luxe ne fut tiré et des mentions publicitaires d’édition furent même appliquées à l’ouvrage par l’imprimeur de Louvain dès les premiers tours de presse.
Gauguin ne vit jamais un seul exemplaire et ne put donc jamais en dédicacer un seul – d’ailleurs eût-il seulement accepté de le faire ? Morice lui en aurait envoyé 100 exemplaires dans une caisse qui se serait perdue, et, malgré ses demandes maintes fois réitérées dans des lettres à divers, personne ne lui envoya le livre.
Provenance intéressante, Fernand Khnopff et Paul Gauguin ne partagent-ils pas en peinture le même goût de l’énigme ?
Un petit manque marginal de papier sur la couverture, partie supérieure de la reliure un rien assombrie.
Bel exemplaire cependant.