Édition originale.
Un des 6 exemplaires sur Japon, premier papier du tirage de tête.
C’est le numéro 1, justifié et signé à l’encre par Fénéon au colophon.
Envoi a. s. au crayon : A la gracieuse visiteuse de la page 18 / Fervemment / F.F.
Sorti des presses à la fin octobre, Les Impressionnistes en 1886 reprend les articles publiés dans La Vogue du 13-20 juin 1886 sur les expositions de la Maison Dorée et de la galerie Georges Petit et, partiellement, l’article publié dans L’Art moderne de Bruxelles du 19 septembre 1886 sur la IIème exposition de la Société des Artistes Indépendants (baraquements des Tuileries, 20 août-20 septembre).
C’est sur l’insistance de ses amis peintres que Fénéon se décida à réunir en plaquette les présentes notes, non sans avoir préalablement remanié abondamment le texte, effectuant de multiples retouches, après s’être informé auprès des principaux intéressés – Signac, Seurat et Pissarro notamment.
Cette plaquette que Seurat jugea comme la meilleure exposition de (ses) idées sur la peinture devint le manifeste du néo-impressionnisme qu’elle baptisait. Bien qu’elle soit sa seule publication en librairie, Fénéon occupe en cette fin de siècle une place de premier plan sinon la première.
Esprit cinglant mais bienveillant, au ton inimitable, axiomatique et expéditif – Toute nouveauté pour être admise a besoin que beaucoup d’imbéciles meurent. Nous faisons des vœux pour que cela arrive le plus tôt possible. Ce vœu n’est guère charitable, il est pratique – ou : Lorsque nous disons que Diderot est notre contemporain, nous faisons du XIXème siècle un éloge exagéré. Le XXème pourra – et encore ? – se permettre cette hyperbole – c’est dans la critique que s’exercèrent son génie de la formule et son incisive ironie – il aura gardé ses bonnes toiles et c’est par ses expositions antérieures que nous connaîtrons ce radieux peintre de l’épiderme parisien écrit-il de Renoir dont il ne goûte guère les portraits mondains – mettant sa clairvoyance au service des autres avec un effacement dédaigneux et indompté : je n’aime que les travaux indirects.
Durant de nombreuses années, Fénéon publia des chroniques d’art, comptes rendus, petites études, chroniques littéraires, nouvelles en trois lignes, etc., le plus souvent anonymes, dans la plupart des revues d’avant-garde. Son rayon d’activité fut très étendu : il fonda avec Chevrier La Revue indépendante, d’où il organisa maintes expositions, dirigea avec Gustave Kahn La Vogue, publiant Rimbaud et Laforgue, orchestra avec une maestria sans pareille La revue blanche avant de s’effacer des années durant dans la rédaction du Bulletin de la vie artistique.
Les piperies du vieil impressionnisme ne lui recrutent plus d’adhérents, décrète-t-il en 1889 – c’est que Fénéon, depuis sa rencontre avec Seurat, a un faible prononcé pour le néo-impressionnisme, cet impressionnisme scientifique qu’il définit et affine avec perspicacité face à l’impressionnisme pur auquel il trouve une allure d’improvisation et de travail sommaire.
A peinture nouvelle, critique nouvelle. Époque d’intense activité linguistique, féconde en innovations plus ou moins heureuses, 1886 verra l’informe mouvement décadent se scinder en plusieurs courants, Moréas lancer son Manifeste ou Plowert son Petit Glossaire pendant que le berceau Lutèce dérive définitivement. Durant ce temps de révolution des vocables, nul autre que Fénéon ne sut si bien ouvrer son style, un style cunéiforme aux tournures ciselées et tranchantes, parlant peinture dans une langue poétique et claire, tour à tour concise et dissolue, orbiculaire et acérée, par les substantifs en ribambelles, par les adjectifs qui se haussent, par les trappes à tire-volet... Quel critique lapidaire ! s’exclamera Mallarmé.
Quant à la gracieuse visiteuse, dédicataire de l'exemplaire, à la dite page 18 se clôt le chapitre que Fénéon consacre à David Estoppey, il y fait état de ses intérieurs apaisés : cette chambre d’hôtel noyée de crépuscule ; de face et se découpant en noir sur le grand rectangle verdâtre de la fenêtre, une jeune femme en visite est assise au pied d’un lit qui s’escampe derrière le cadre abandonnant au premier plan le marbre d’une table de nuit où posent la potion de la malade et deux oranges.
Nous n’avons, à ce jour, jamais pu identifier, localiser ni soupçonner le tableau en question, pas même dénicher une information valable sur ce peintre suisse, au secret depuis sa première apparition dans un coin de la Maison Dorée (8ème exposition impressionniste), sans même que son nom ne soit mentionné au catalogue ni, encore moins, énoncé sur l’affiche.
Certains des exposants reprochèrent à Fénéon de lui avoir consacré un paragraphe entier (Fénéon est bien plus apologétique dans la première version de La Vogue), celui-ci se serait justifié en prétextant qu’il était important de soutenir un jeune inconnu talentueux qui, en outre, venait d’achever un portrait de Jean Moréas et préparait son propre portrait… Comment le remercier sinon en parlant de lui en même temps que de Gauguin, Guillaumin et Berthe Morisot ? Reste qu’on ne sait pas qui est cette gracieuse visiteuse. Le modèle de David Estoppey, son épouse ? En tout cas, l’explication vraisemblable est peut-être plus prosaïque : Fénéon avait un béguin pour elle, voilà tout - un béguin d'importance pour lui offrir le premier des exemplaires sur Japon ...
La fragile couverture qui porte la mention "Exemplaire sur Japon", a été thermodoublée.