Seconde édition, d'une importance considérable : c’est elle qui révéla l’œuvre de Lautréamont.
Envoi a. s. de l'éditeur : Exemplaire de mon ami Henri de Bigare, cordial souvenirs de l'éditeur, L. Genonceaux.
Entièrement établie sur le manuscrit original par Léon Genonceaux, elle comporte le fac-simile d’une lettre d’Isidore Ducasse, lettre qui contient comme une profession de foi littéraire et fait allusion aux circonstances qui s’opposaient à la mise en vente de son livre ; un frontispice à la manière noire de José Roy inspiré d’une phrase du Chant III – il traînait, à travers les dalles de la chambre, sa peau retournée ; et une importante préface signée de l’éditeur présentant l’œuvre et les résultats d’une enquête très approfondie sur la vie de son auteur, tant sur ses origines que sur sa brève existence à Paris.
A ce titre, Genonceaux est le premier biographe d’Isidore Ducasse dont les découvertes seront par la suite abondamment utilisées par les exégètes de Lautréamont.
Genonceaux n’a pas jugé opportun de confier dans sa préface dans quelles circonstances il avait découvert l’œuvre d’Isidore Ducasse – écrit J.-J. Lefrère (in Deux Malchanceux de la littérature fin de Siècle, Jean Larocque et Léon Genonceaux, Du Lérot) – On a souvent avancé que son compatriote et ancien confrère Albert Lacroix, qui avait imprimé l’œuvre vingt ans auparavant sans oser la mettre en librairie, lui aurait révélé l’existence de ce texte que découvraient à peine les milieux littéraires français et belges d’avant-garde. La préface de l’édition Genonceaux de Maldoror est certes dédiée à Lacroix, mais cette attention amicale n’exprime peut-être que la simple gratitude envers un confrère en retraite qui avait eu l’amabilité de lui communiquer le manuscrit original de l’œuvre et de lui donner quelques renseignements biographiques sur l’auteur, disparu pendant le siège de 1870. (…) Une autre hypothèse sur les circonstances de découverte des Chants de Maldoror par Genonceaux implique l’intervention d’autres compatriotes de l’éditeur, comme ces collaborateurs de La Jeune Belgique, qui, en dénichant quelques exemplaires du livre dans la cave du libraire-éditeur bruxellois Rozez, avaient été les véritables inventeurs de l’œuvre.
Rappelons qu’en 1874, Jean-Baptiste Rozez avait racheté à Lacroix les feuilles de l’édition originale, tirées en 1869, pour les mettre en vente avec un titre et une couverture de relais. Sans succès. Les jeunes écrivains belges avaient communiqué le volume à des amis et correspondants français, parmi lesquels étaient Huysmans et Bloy. D’ailleurs, ce dernier se flattait d’avoir signalé le premier l’œuvre de Lautréamont dans son roman, Le Désespéré, paru en 1886. Bloy accueillit la nouvelle de la réédition de Genonceaux avec la crainte de ne pas y être associé ou du moins remercié. Il fit proposer à l’éditeur ses services pour une éventuelle préface et composa Le Cabanon de Prométhée, article dans lequel il reprenait sa thèse formulée dans Le Désespéré selon laquelle Ducasse avait fini à l’asile. Cette assertion était inacceptable pour Genonceaux qui redoutait par ailleurs que le nom de Bloy sur la couverture ne nuisit au volume. Il lui opposa une fin de non-recevoir.
Initialement prévu à 500 exemplaires, puis à 250, le tirage fut limité à 150 exemplaires sur papier vélin du Marais (au prix de 10 francs, soit, à cinquante centimes près, trois fois le prix d’un volume courant) et 10 exemplaires imprimés et numérotés sur Japon (au prix de 25 francs). Cette indication de tirage est imprimée sur le second plat de couverture du livre du Docteur Cabanès, Marat inconnu, publié en 1891 par Genonceaux (reproduit ici).
Est-ce par manque d’argent – Maldoror compte parmi les premières publications de l’éditeur – que Genonceaux réduisit le tirage du volume, ou envisagea-t-il les risques (et le coût d’une saisie possible) encourus en publiant une œuvre que dans le passé son premier éditeur avait, par crainte de poursuites judiciaires, renoncé à mettre en vente ? En tout cas, Genonceaux prit soin de prévenir son lecteur : Nous avons cru que la réédition d’une œuvre aussi intéressante serait bien accueillie. Ses véhémences de style ne peuvent effrayer une époque aussi littéraire que la nôtre. Si outrées qu’elles soient, elles gardent une beauté profonde et ne revêtent aucun caractère pornographique.
Le tirage ne s’épuisa pas facilement et 43 exemplaires étaient encore disponibles en février 1891 comme l’indique un encart publicitaire de La Bibliographie de la France. C’est que, Charles Rozez, fils du libraire-éditeur chez lequel les jeunes écrivains belges avaient découvert l’existence des Chants de Maldoror, profita de la publicité faite à l’œuvre de Lautréamont pour remettre en vente, à Paris, le stock restant de l’édition originale.
L’édition de Léon Genonceaux aura eu au moins le privilège et le mérite d’occuper un temps la place de l’édition princeps.
A ce titre, elle jouit d’un prestige particulièrement remarquable.
Pâles rousseurs sur les premières pages, plus prononcées sur les dernières, une petite restauration angulaire sur le premier plat de couverture.
Superbe reliure d'Alidor Goy.
Fort rare avec un envoi de Genonceaux.