Édition originale – fort rare – de la première partie, complète en cinq volumes, des huit « romans différents » initialement prévus pour Issac Laquedem.
Inachevé, Issac Laquedem devait constituer le Grand Œuvre d’Alexandre Dumas, l’œuvre capitale de (s)a vie comme il l’écrit à Millaud en décembre 1852, à la veille de sa publication en feuilleton, l’œuvre éclatante, innombrable, multiple, éblouissante, où le jour luit, que la postérité retiendrait, faisant de lui l’auteur d’Isaac Laquedem et non plus le père des Trois Mousquetaires...
En tout cas, ce fut bien le projet le plus ambitieux d’Alexandre Dumas : l’histoire du monde entier depuis le titan Prométhée jusqu’à l’ange du Jugement dernier, se déroulant sous les yeux d’un témoin immortel, Isaac Laquedem, le Juif errant. Ce que je puis affirmer – ajoute-t-il à Millaud – c’est que, pendant cette gestation de vingt ans dans mon cerveau, il est tellement venu à maturité que je n’ai plus qu’à cueillir le fruit de l’arbre de mon imagination. Vous n’attendrez donc pas : je ne compose plus, je me dicte.
Les premiers fruits poussèrent dans Le Constitutionnel du 10 décembre 1852. A l’apparition de Jésus-Christ (pour l’heure héros de roman aux dons exceptionnels), L’Univers (pour l’heure journal catholique véhément), s’éleva très violemment, fustigeant dans l’infâme profanation que M. Dumas se croit permise, moins le scandale, l’impiété et le sacrilège que la stupidité de l’auteur, la satisfaction idiote qu’il manifeste et la candeur avec laquelle il souille l’éternelle et adorable vérité. Toute la presse se fit l’écho de ces attaques au grand désarroi de Dumas, déjà sonné par leur brutalité – il lui fallut même solliciter l’intervention de Napoléon III, en vain.
De son côté, Millaud commençait à le lâcher : gêné pour son lectorat catholique, Le Constitutionnel procédait discrètement à des coupures du roman. Las, Dumas renonça à dévider plus avant le fil de son imagination et sa récolte fut perdue à jamais.
Isaac Laquedem est un Dumas fort rare. Ainsi aurait-il échappé à la sagacité érudite d’Apollinaire qui, pourtant, se fit fort dans son Passant de Prague (L’Hérésiarque, 1910) de citer les noms des 31 auteurs que la légende du Juif errant avait inspirés depuis 19 siècles sans mentionner celui d’Alexandre Dumas… Il est vrai que celui qui cite ces 31 élus dans le Passant de Prague se nomme déjà Isaac Laquedem : Apollinaire emprunta ce nom à la complainte que Philippe Mouskes composa en 1243. Alors…
Ex-libris Paul Gavault puis Bibliothèque de Brouchetière.
Bel exemplaire.